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Camille Laurelli raconte des histoires. Des éclats d’histoires, courts et efficaces comme un poème japonais où le réel par surprise se prend les pieds dans l’absurde.

Camille Laurelli traque en permanence l’instant. Le moment précis où la magie percute le quotidien. Tout ce qui l’entoure peut du jour au lendemain s’y fracasser pour se matérialiser ensuite en oeuvre. C’est juste une question de regard, un détournement de l’objet ou d’une scène a priori banale qui vont rejoindre ainsi l’inattendu. Pour accéder à ces transformations, Camille Laurelli utilise toujours des moyens minimum, une économie de surenchère pour conserver intact toute la fragilité de ce qu’il propose. Déjà dans son corps et sa manière de marcher, Camille joue les à côtés. Comme si le fait de se mouvoir dans ce monde réclamait des savoir-faire qu’il ne saurait appréhender. Le personnage soigne du reste son décalage, devenant acteur et metteur en scène d’un film burlesque dont le propre scénario ne cesserait de lui échapper. Un film à la Buster Keaton où la maîtrise du réel est en soi une aventure, mieux un combat incertain. La référence à cet acteur burlesque est d’autant plus évidente que l’humour fait partie intégrante de son univers. A la limite du dérisoire, sans cynisme aucun, Camille Laurelli défait et découd le réel. C’est au résultat une photographie, un film, un objet, tous les supports susceptibles de donner corps à ses petits meurtres du quotidien. Car peu importe le médium du moment où il peut se soumettre au bricolage de l’artiste et donner un voir la superbe approximation de la vie.

Meurtrier du quotidien
« C’est une difficulté dyslexique d’attitude » dit-il en parlant de lui-même. Un raccourci significatif pour évoquer cette impossibilité à se confronter à l’espace ou à la narration linéaire, son incapacité à se soumettre à la rationalité, refusant la main mise des lois naturelles ou de rapport de force. C’est un rêveur funambule qui injecterait avec délice des désordres, un handicapé qui camouflerait les signes extérieurs de sa dissemblance. Un statut de hors norme qu’il essaie de propager au monde. Il n’est donc pas étonnant qu’il apprécie les artistes comme Ramette, autre handicapé du corps passé de la fabrication de la prothèse à la réalisation impossible d’une remise en cause de la gravité. Mais Camille lui ne construit pas de machines et la réalisation chez lui doit toujours beaucoup à la débrouillardise et si perfection il y a, elle se fait dans l’instant. Cette beauté et précision du moment est dans le présent. Camille Laurelli le suspend dans l’image photographique. Poissons dans une baignoire, perceuse humanisée, bateau retourné, il met en scène des situations absurdes qui deviennent autant de petites narrations . Il ne s’agit jamais de décor hollywoodien, mais d’exercice en vase clos où joue justement la banalité des lieux et des objets choisis. Ce qui intéresse Camille Laurelli c’est de montrer que ces petits riens offrent des décalages plus poétiques qu’une totale remise en question. Et plus l’idée semble simple et plus forte est le sentiment qu’elle donne. « Il y a un film de Broodthaers que j’aime beaucoup. C’est juste un gros plan d’une main qui écrit un poème sous la pluie. Et de voir les mots qui s’effacent dans les gouttes et cette main qui continue malgré tout c’est vraiment superbe » explique -t-il « C’est du bricolage d’idée, l’économie du peu, et ça reste merveilleux » Des mots qui conviennent parfaitement au processus de création que lui aussi met en place

Petits désordres raffinés
Sous ces dehors de jeune homme romantique et charmeur, Camille Laurelli est un iconoclaste. Rien ne le séduit plus que de semer du désordre. Pas du grand désordre, vulgaire d’évidence, mais de ces petits désordres raffinés aux saveurs si particulières. A la Tati, il en piège les apparitions ou les produit de toutes pièces, créant ainsi son propre vocabulaire ou l’empruntant sans honte à d’autres. Comme si refaire une oeuvre existante ne déplaçait que du temps, de ce qui a été fait à ce qui est aujourd’hui. A la BF 15, outre une série de photos, de tableaux customisés comme des objets, il présente aussi une vidéo qui est à priori la réplique exacte d’une oeuvre signée Fluxus. A l’époque, l’artiste avait recouvert de scotch l’objectif de la caméra alors qu’il était en train de se filmer. Ce curieux autoportrait revisité à l’aube du nouveau millénaire change du tout au tout malgré un dispositif de départ semblable. En jeu, les techniques nouvelles qui vont de la caméra 16 au numérique. Une histoire de vibration de lumière et de focale qui donne au portrait de Camille un effacement du visage tout en douceur. Une disparition dans une matière cotonneuse très éloignée de celle, saccadée et violente, de la première version. Cette différence est comme l’écho des samples que les artistes n’hésitent pas à s’accorder, réactivant l’histoire de l’art en la plaçant simplement de nouveau, dans les musées et galeries, concept piqué lui aussi à ce cher Duchamp. Une légèreté que Camille revendique, navigant avec humour sur les accidents, reflet de mort et percuteurs du banal.

Hauviette Bethemont - 11/2006

Par Camille Laurelli